Que d’idées reçues sur la créativité ! Est-elle innée ou acquise ? Est-elle reservée aux artistes ? Peut-on la travailler ? Nous faisons un tour d’horizon sur la question, pour déconstruire ces préconceptions…
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Cliché #1 : La créativité est innée
Mozart écrivait lui-même à un ami : « Ils s’illusionnent, ceux qui pensent que mon art me vient facilement. Je t’assure, mon cher ami, que nul n’a dévoué autant de temps et de réflexion que moi au sujet de la composition. Il n’est de maître reconnu dont je n’aurais étudié plusieurs fois la musique avec entreprise et attention. » (citation extraite du livre de Twyla Tharp, Le réflexe créatif). Mozart n’était donc pas qu’un génie, il était également capable de fournir un travail acharné pour créer une oeuvre. Ainsi, la créativité se travaille !
Alors entraînez-vous à produire des idées, dans le lot il y en aura forcément des bonnes… Mozart, immense travailleur, a créé 24 oeuvres de jeunesse avant d’atteindre le sommet de son art. Ce type d’entraînement créatif est utilisé dans deux secteurs particulièrement innovants : la création chorégraphique, sous forme de sessions d’improvisations en studio, et dans les startups qui imposent par exemple à leurs salariés de trouver une nouvelle idée créative tous les jours.
Cliché #2 : Etre créatif ou ne pas l’être, telle n’est pas la question
Et si la créativité n’était pas tant une finalité qu’une dynamique ? Un désir profond de créer, une énergie qui attise la curiosité, un état d’esprit particulièrement ouvert à la nouveauté ?
La chorégraphe Christine Bastin rappelle que la créativité est inhérente à l’être vivant même s’il faut parfois savoir « faire sauter de nombreux verrous, intérieurs comme extérieurs » pour l’exprimer. « En fait l’inspiration est toujours là. Mais on n’est pas toujours prêt à la reconnaître, à la recevoir, à la laisser nous envahir » ajoute-t-elle.
En analysant les freins au développement de la créativité, les organisations ont la possibilité de mettre en place un environnement propice à la dynamique de créativité. Pour Vincent Barat, le frein principal reste l’autocensure : « Pour lutter contre l’autocensure qui tue la créativité, les entreprises ont tout intérêt à favoriser un climat de confiance et de bienveillance, où il est possible de s’écouter, et de s’exprimer librement, d’où l’importance d’aménager des espaces de réflexion. » Il faut mettre en avant ce « droit à l’erreur » qui fait que oui, il est possible d’échouer, du moment qu’on apprend de ses erreurs et qu’on réessaye. Chacun peut également identifier un contexte propice pour favoriser sa propre créativité : un tel écoutera telle musique, un autre aura au contraire besoin de silence pour faire abstraction des éléments extérieurs. Apprendre à se connaître, et à apprivoiser son mécanisme de créativité sont des pré-requis incontournables pour réussir à trouver ce qu’on pourrait appeler un état de créativité, un état de concentration en lui-même, et la préparation à cet état est également essentielle. Elle peut se faire à travers l’étirement, l’échauffement, le massage des yeux… C’est-à-dire l’éveil du corps, mais surtout l’éveil des sens. « En réveillant son corps, en le mettant doucement en mouvement, on remarque qu’on rend alors son esprit disponible à l’instantané, au présent. L’esprit se recentre en se concentrant sur une sensation nouvelle, un geste inhabituel, avant d’entrer dans une forme d’automatisme. C’est une manière d’atteindre le lâcher prise, utile pour déclencher la phase d’incubation de l’idée ! » commente Emmanuelle Simon, formatrice à La Fabrique de la Danse.
Il est temps de cesser de croire que vous n’êtes pas créatif ! Mettez-vous plutôt dans cette dynamique en consultant les « 5 conseils pour booster sa créativité ! ».
Cliché #3 : Le processus créatif est un processus automatique
Selon Anaëlle Camarda, chercheuse en psychologie cognitive, certaines connaissances et idées automatiques viennent au contraire bloquer la créativité, en créant des fixations cognitives qui nous empêchent de penser à autre chose, comme elle l’explique dans sa thèse.
Twyla Tharp, chorégraphe et auteure du Réflexe créatif, préfère parler de « rituels créatifs » plutôt que d’automatismes. D’après elle, tout acte créatif nécessite des petits rituels (dans son cas, prendre un taxi avant d’aller à la gym répéter) pour se préparer mentalement et physiquement à entrer dans une phase de création. Ainsi, l’échauffement du corps, ou les étirements du matin, peuvent réveiller le corps et l’esprit, car, comme elle le dit si bien, « pour la tête, l’esprit, c’est la même chose que pour le corps ». On a besoin d’une discipline faite de rituels, d’habitudes qui nous mettent dans un cadre propice et nous envoient le signal suivant : « l’action créative va bientôt commencer ». Twyla Tharp va d’ailleurs jusqu’à parler de « réflexe créatif ».
Enfin, dans le milieu artistique, l’impératif besoin de nourrir la créativité par des sorties artistiques, des lectures et des rencontres, est communément accepté. La nourriture de tout acte créatif, artistique ou non, passe par la phase de préparation. Aussi, pour créer, il faut s’inspirer, se nourrir, auprès du travail d’autrui, au travers d’exemples de son quotidien etc. En entreprise aussi, les bonnes pratiques poussent les dirigeants à s’imprégner des méthodes des concurrents, les responsables d’innovation à effectuer une veille active et à participer à des événements dits « inspirants ».
Cliché #4 : La (vraie) créativité est réservée à l’artiste
Un autre préjugé souvent entendu est celui que seul l’artiste est un vrai créatif. Certes, comme le rappelle Christine Bastin, « la création est ce qui nourrit l’art. C’est le moteur des artistes et elle donne lieu à de la production artistique. Alors oui, elle est indissociable du domaine de l’art. La danse, la création chorégraphique, trouve sa nécessité en elle-même et n’a pas d’autre but que de faire œuvre d’art. » En effet, la particularité de la création artistique réside dans son déclencheur : il est interne et lié à l’artiste et à son besoin d’expression, alors qu’il est plutôt externe pour les autres créateurs, qui créent pour répondre à un besoin ou une opportunité.
Dans le secteur marchand, elle est fortement liée à l’innovation, devenue aujourd’hui cruciale pour la performance et la pérennité d’une entreprise. L’innovation permet de se démarquer sur un marché, par rapport à ses concurrents, de gagner sur eux une certaine avance, la fameuse « rente de monopole » de Schumpeter. Attention cependant, à ne pas confondre innovation et créativité ! En effet, la créativité s’inscrit entre autre comme la capacité à concevoir quelque chose de neuf, d’inédit, en vue de régler un problème existant, tandis que l’innovation consiste en l’industrialisation, la commercialisation d’une idée. La créativité est donc une étape-clé du processus d’innovation en entreprise !
Cliché #5 : La créativité requiert une liberté absolue
Ne pas confondre lâcher-prise et liberté, voire libertarisme ! Dans le milieu artistique, il est de notoriété commune que la contrainte met en mouvement et booste la créativité. Ainsi, une astuce bien connue des artistes consiste justement à se créer des contraintes dans le but d’améliorer leur créativité : c’est ce qu’on appelle « la contrainte artistique volontaire ». Par exemple, certains chorégraphes se forcent à créer dans le noir, ou en se privant de l’usage d’un membre de leur corps, ou encore (plus étonnant !) en utilisant un tissu aérien… De même, dans le monde de l’entreprise, plusieurs types de contraintes sont employées pour guider la créativité.
Par exemple, la méthode, bien connue, du brainstorming est intéressante ici. Son inventeur, Alex Osborn, s’était rendu compte qu’un moyen de rendre les réunions plus productives étaient de séparer les moments où on générait des idées de ceux où on les analysait. C’est la distinction entre le moment de divergence et le moment de convergence. Le moment de divergence est celui où l’on écrit sur un papier toutes les idées qui nous passent par la tête, sans auto-censure, qu’elles nous paraissent absurdes, ridicules, incomplètes, irréalisables etc. Le moment de convergence consiste à raffiner, associer, construire, relier les idées générées pendant la phase de divergence. Le brainstorming est pertinent dans la mesure où il montre qu’une méthode peut servir de cheminement vers la créativité.