Jusqu’à la période pré-romantique, qui prend fin au début du XIXe siècle, les ballets demeurent essentiellement des domaines masculins : les maîtres de ballet, les professeurs, les théoriciens, les notateurs…. et les “meilleurs” danseurs sont des hommes ! Les critiques de journaux (eux aussi des hommes) consacraient des colonnes entières pour un danseur, contre quelques lignes pour une danseuse. Comme vous pouvez l’imaginez, cela ne veut pas dire que les femmes ne créent pas de danse mais… que rien ne reste. Très souvent, nous n’avons ni trace de notation, ni de crédit sur les affiches alors les historiens “soupçonnent”…

Hélène Marquié, cofondatrice du syndicat Chorégraphes Associés et maîtresse de conférences HDR Études de genre/arts au Laboratoire d’études de genre et sexualité, nous en a dit plus sur ces chorégraphes méconnues lors de notre Café Chorégraphe #6.

Françoise Prévost (1680-1741)

Françoise Prévost est surtout connue pour sa carrière de danseuse et s’impose même comme la vedette féminine de l’Opéra de Paris durant la Régence. Elle est aussi la première chorégraphe féminine apparaissant officiellement comme telle dans l’Histoire de la danse. “Officiellement”, car c’est la première à régler plusieurs ballets. Elle crée notamment Les Caractères de la danse : un ballet se présentant comme une petite étude du mouvement avec une suite de danses rapides, lentes, gaies, vives, gracieuses, nobles…

Portrait de Françoise Prévost en bacchante dans Philomène, opéra de Louis de Lacoste – Jean Raoux 1723

Marie Sallé (1707-1756)

Fille de danseurs et élève de Françoise Prévost, Marie Sallé est danseuse, chorégraphe mais surtout réformatrice de la danse. Elle est la première à enlever les masques, à lâcher ses cheveux et à abandonner les costumes à paniers pour danser en tenue légère. Et tout cela avec 150 ans d’avance sur Isadora Duncan !
Elle crée des ballets à Paris, dont Pygmalion en 1934 (où elle fait scandale en costume mousseline et en sandale) mais travaille principalement à Londres, ville beaucoup plus accueillante pour les femmes créatrices à cette époque. On connaît souvent l’histoire des danseuses par leur amant et non par leur création… Marie Sallé dénote encore une fois dans l’histoire menant une vie indépendante sans mari, ni amant !

Mademoiselle Sallé par Maurice Quentin de La Tour(1741), Lisbonne, Musée Calouste-Gulbenkian

Marie Taglioni (1804 – 1884)

Issue d’une famille de danseurs et chorégraphes, on s’aperçoit qu’en plus d’être une magnifique première danseuse du Ballet de l’Opéra de Paris, Marie Taglioni co-chorégraphie très certainement avec son père Filippo Taglioni. On citera notamment la création de La Sylphide dans ces spéculations…
Les écrits disponibles aujourd’hui parlent seulement de Marie Taglioni comme interprète que son père utilisait, mais Arthur Saint-Léon théorise le changement d’esthétique du ballet romantique, et attribue essentiellement ce changement aux femmes du milieu, et notamment Marie Taglioni.
Après la fin de sa carrière d’interprète, elle règle pour Emma Livry sa seule chorégraphie : Le Papillon.

Marie Taglioni dans Zéphire et Flore par Charles-Louis Didelot, 1831

Mariquita (1840-1922)

Mariquita commence comme danseuse exotique et tente de gagner sa vie en s’inventant des origines algériennes. Elle mène une vie extraordinaire, devient maîtresse de ballet à l’Opéra Comique (pendant 22 ans), des Folies Bergères et obtient la direction chorégraphique du Palais de la Danse à l’Exposition universelle de 1900.

Thierry Malandain, directeur du Centre National Chorégraphique de Biarritz, a mené une recherche avancée sur Mariquita, vous pouvez retrouver son article ici.

Natacha Trouhanova, Mariquita, Marthe Lenclud, Régina Badet, photo Auguste Bert, 1911. Carte postale Comœdia.

Madame Stichel (1856-date inconnue)

Madame Stichel est unanimement louée par la critique pour ses qualités d’interprète et saluée comme l’une des deux plus talentueuses maîtresses de ballet et chorégraphes de l’époque, avec Mariquita.
Autre novatrice de cette liste, elle est la première maîtresse de ballet à l’Opéra de Paris (la suivante sera Claude Bessy, maîtresse de ballet par intérim, 62 ans plus tard !), mais aussi la première à avoir fait un procès pour ses droits d’auteurs en tant que chorégraphe de ballet dans une institution !

Pour l’anecdote…
La BnF possédait une fiche la concernant au nom de Thérèse Stichel (en confusion avec le nom de son ballet, La Fête chez Thérèse), des articles du fonds Rondel lui attribue à tort le prénom de Gina, et il y a encore quelques années sa page Wikipédia était inexistante (seul cas des 37 maîtres de ballets de l’Opéra de Paris)… tout cela alors que l’on lui recense près de 68 ballets créés !

Pour en savoir plus sur la vie de Madame Stichel, retrouvez l’article d’Hélène Marquié ici.

© Photographie de Gustave Echtler. Source : Cinémathèque française – iconothèque, CLA/0106/007

Bronislava Nijinska (1891-1972)

Bronislava Nijinska est une danseuse, chorégraphe et maîtresse de ballet russe. On l’associe surtout à son petit frère, Vaslav Nijinski. Pourtant, ils se documentent et travaillent ensemble, notamment pour l’Après midi d’un faune ou le Sacre du Printemps. Impossible de savoir quelle est la part de l’un ou de l’autre dans ces créations… Certes, Nijinski est reconnu comme un génie, mais en terme de création, Nijinski règlera 4 ballets. Nijinska elle, en règlera une soixantaine…

Bronislava Nijinska dans Petrouchka