K Goldstein, l’un de nos chorégraphes incubés, a lancé Dancescape, des petites pastilles vidéos de danse sur Instagram. Nous lui avons posé quelques questions sur sa démarche.

Explique-nous ce concept de Dancescape…  

A l’origine je n’étais pas du tout attiré par les réseaux sociaux. J’ai du mettre trois ans avant d’ouvrir un compte Facebook pour ma compagnie. Je me suis vite rendu compte qu’il s’agissait d’un outil performant pour la communication et réussir à informer les plus de gens sur les actualités de la compagnie KeatBeck. Par la suite, j’ai compris qu’il s’agissait d’un moyen de diffusion important.

Pour une jeune compagnie émergente, comme KeatBeck, il n’est pas toujours aisé de présenter son travail. Les scènes sont surchargées, les demandes nombreuses, les spectateurs ne sont pas toujours au rendez vous.

Par contre, nous sommes en communication permanente avec notre téléphone et ses réseaux sociaux et KeatBeck travaille beaucoup avec le médium vidéo. Il y avait donc un pont à créer pour diffuser ces vidéos et proposer une sorte de vidéothèque KeatBeck.

Je me suis alors penché sur Instagram et c’était assez drôle, car cette application propose/impose un format vidéo de 15 secondes. La vidéo et le cinema font partis de ma formation et de mes piliers de création. Cette contrainte est donc devenu un moteur créatif pour penser un projet sériel sur le long terme .

Que puis-je faire en 15 secondes ? Quel peut être le protocole autour de ses 15 secondes ? Comment danser ses 15 secondes ? Où ? A quelle fréquence ? Histoire d’utiliser ce concept jusqu’au bout et d’en proposer une lecture cohérente et globale, j’ai aimé l’idée de proposer une vidéo, une vignette, une carte postale chaque semaine pendant un an. Enfant, j’étais fan de Tintin, qu’il s’agisse du dessin animé ou de la bande dessiné, le rapport à l’épisode me rendait encore plus impatient de découvrir ses nouvelles aventures. J’ai voulu travailler sur le concept de l’épisode et proposer différentes aventures. Il y a une sorte d’endurance qui s’exerce au niveau de l’imagination et du rythme pour arriver à créer plus de 52 épisodes sur une année. Pourtant la durée est très courte mais le temps de préparation et de finition prend, pour une vidéo, une journée. C’est aussi un défi que je me lance, vais-je arriver à épuiser cet outil ?

Pourquoi travailler sur ce rapport à la nature ? Est-ce une source d’inspiration ou une contrainte ?

La nature est rarement une contrainte pour moi, au contraire une vraie source d’inspiration sur le plan spatial. Découvrir différentes lignes et y inscrire un corps en mouvements est un de mes premiers axes d’écriture sur ces vidéos. Il y a un rapport très puissant et presque paradoxal avec cette nature omniprésente dans ses vidéos que vous pouvez voir sur votre téléphone, le matin en prenant le métro. Une sorte de fenêtre imaginaire et de bouffée d’oxygène se construit. Le rapport à l’échelle aussi est une piste d’écriture, jouer avec l’infiniment petit et/ou grand confère aussi bien au paysage qu’à la danse une autre force. En réalité énormément de choses sont possibles en milieu naturel : le slogan de Dancescape, « Imagination is the best place to rest / L’imagination est le meilleur endroit pour se détendre », rappelle bien que cette infinité de potentialité est avant tout activé par l’imagination et ce que vous allez en faire.

 

Pourquoi choisir d’être seul sur ces vidéos ?

Il s’agit d’un vrai protocole de création et d’écriture. Je ne sais pas trop si je pourrai embarquer d’autres danseurs avec moi dans cette aventure. Il y a un vrai rapport à l’endurance sur Dancescape qui fait partie du procédé. Je marche d’une heure  minimum jusqu’à quatre heures en écoutant le son sur lequel je voudrais travailler. Puis une fois mon spot trouvé, je tourne non stop pendant une demie heure. Je suis souvent trempé, sale, frigorifié, ouvert au paysage que je contemple et concentré sur la nouvelle vidéo que je vais tourner. Par la suite,  tout est tourné avec mon téléphone, il faut donc trouver le cadre, le système d’accroche et souvent composer avec le soleil, le vent, la pluie.

C’est une vraie aventure qui teinte à chaque fois ces vidéos d’une énergie nouvelle, une force différente de celle sur un plateau.

Puis personnellement, danser dans de si grands espaces est aussi une expérience en soi. L’énergie est beaucoup plus diffuse et difficile à projeter. On peut vite être épuisé et se faire manger par l’espace. D’autant plus après une marche aller de quelques heures et une marche retour identiques mais avec option « courbatures ».

J’essaie déjà de me gérer au mieux et je ne sais pas si je saurais comment diriger d’autres danseurs dans ce pèlerinage encore inédit pour moi.

Par contre je suis bien entouré. J’ai la chance de travailler avec Alex Pan sur les édits audio: il est le co-createur du groupe génial Polo and Pan et il m’épaule pour harmoniser les différentes musiques utilisées pour Dancescape. Sur Instagram les videos se répètent à l’infini, il fallait donc trouver un traitement audio pour ce système de boucle.

Je collabore aussi avec une scénographe et dramaturge depuis la création de KeatBeck, Judith Grynszpan. Nous présentons d’ailleurs le projet Dancescape au Palais de Tokyo, le 5 décembre pour une journée organisée par l’artiste contemporaine Veronique Hubert autour de la thématique « Lectures? » [informations pratiques ici].

Utiliser les réseaux sociaux est assumé : est-ce un nouveau moyen de diffusion pour les artistes et en particulier les chorégraphes ?

Passer outre le fait que les réseaux sociaux soient omniprésents dans notre paysage quotidien, je trouve cela effectivement très intéressant de l’assumer et de s’en servir de façon positive et constructive. De prime abord, garder une trace d’un travail et le partager me permet de construire des univers en marche et de pouvoir toucher différents spectateurs à travers la planète. Le comprendre comme un outil au service de la création a été pour moi une clef précieuse. Je suis bien sûr un adepte du spectacle vivant « en live » mais pourquoi ne pas réfléchir à un rapport à la danse plus digital tout comme le livre ou le cinéma ont renouvelé leur mode de lecture ces dix dernières années. Cela nécessite biensur une adaptation au format web, il ne s’agit pas seulement de faire une captation sur un plateau et de la diffuser. Je trouve qu’il s’agit d’une démarche novatrice qui ré-introduit un souffle d’originalité et d’imagination dans mes propositions.

Y’a-t-il des comptes Instagram qui t’inspirent ? Des créations sur les réseaux sociaux que tu trouves intéressantes ?

Je n’ai pas encore trouvé de démarches similaires à la mienne sur Instagram. La rapport à la danse sur cette application est encore très spectaculaire et démonstrative. Vous pouvez facilement voir un danseur enchainer quinze pirouettes en quinze secondes ou bien voir de minis extraits de spectacles ou de répétitions en studio. Pour ma part il s’agit vraiment d’une carte postale dans un décor naturel qui propose une mini narration. J’aime beaucoup l’idée d’un «  Où est Charlie ? » géant version danse, avec ce personnage toujours habillé pareil rappelant aussi bien le petit chaperon rouge que Super Mario Bros. Sur Instagram par contre, ce qui m’inspire énormément sont les photos de paysages conceptualisés autour des lignes et de la présence humaine des comptes: Vzcomood, Main_vision, pepdsgninfiniteperceptions, thevisualscollective ou encore niche. Sur les réseaux sociaux comme Facebook, je suis très friand de la poésie des Haïkus Chorégraphiques de Jean Louis Costes Murat de la compagnie Les Ouvreurs de Possibles et de la belle proposition de Nadia Vadori-Gauthier, qui propose une minute de danse par jour sur Facebook.