Rencontre avec Tudi Deligne, de la promotion 2019 de l’incubateur.

Quel est ton univers chorégraphique ? 

C’est une question à laquelle j’évite généralement de répondre ! Dans la mesure où ma recherche se situe en amont, ou en deçà, de la création d’un vocabulaire chorégraphique, ou d’un univers esthétique cohérent défini par l’intention de s’exprimer. Je ne m’intéresse pas à la danse comme code ou comme langage, mais comme témoignage de l’existence physique, matérielle des choses, au niveau le plus primaire. C’est tout autant la manière dont un grain de poussière plane dans l’espace en fonction de subtiles différences de température de l’air, que la manière dont le système nerveux d’un chat lui permet de se tenir en équilibre sur une surface large d’un centimètre au dessus d’un gouffre, que l’extrême complexité du corps humain, bien sûr. Cependant de ce point du vue, l’humain est sans cesse parasité par son intellect, les codes qu’il apprend et définissent la conscience et la perception qu’il a de lui-même. C’est pourquoi je cherche comme à régresser à l’état de chose. En ce sens je n’ai pas d’univers ou d’intention formelle qui pré-définisse la danse, ou ce qu’elle peut être. L’esthétique résulte de manière aveugle, spontanée, organique, des processus de travail que j’utilise. Et celle ci changera radicalement d’un danseur à l’autre car ils sont des entités physique et mémorielle différentes.

Ceci dit, on peut tout de même reconnaître à ce type de recherche un élément de base qui est le travail sur la temporalité. Dans le mesure ou le premier pas dans cette forme de régression à l’état de chose est de réduire le bruit de l’esprit et du corps dans l’espace, arrêter de bouger de manière visible et intentionnelle, et extirper le corps de cette glue anesthésiante qu’est la temporalité sociale et fonctionnelle du quotidien, nécessaire à la régulation d’une vie en société. Cela permet de commencer à diriger son attention vers des éléments de l’environnement qui nous échappent d’ordinaire, et de laisser la place au système nerveux d’y répondre de manière aigue.

En fin de compte j’aimerai que l’univers esthétique de mon travail soit entièrement défini par la façon dont mon système nerveux réagi à son environnement ! Mais c’est un vœu pieux, cela représente un travail infini. Mes intentions artistiques personnelles importent peu, et de manière générale, que ce soit dans mon travail plastique ou chorégraphique, j’essaye toujours de fuir ce qui l’identifie à ma personne. A mes yeux les artistes n’ont aucune importance, seules leurs oeuvres comptent !

Peux-tu nous dire quelques mots sur ta création en cours ? 

De la même manière, il est difficile pour moi de parler de ma création en cours car je commence tout juste à la développer et rien ne me permet de savoir ce à quoi elle ressemblera dans quelques semaines seulement ! Il s’agit d’un duo d’environ 45 minutes avec la danseuse américaine Sierra Kinsora. C’est tout ce que je peux en dire pour l’instant.

En revanche je viens de finir de développer un solo intitulé Les origamis rêvent-ils de moutons en papier ? (en référence à l’écrivain Philip K. Dick) sur lequel je travaillais depuis deux ans. On y retrouve un élément important de mon travail qui est la contrainte. Une simple action telle que celle de se lever y est rendue très complexe et presque acrobatique par la façon dont mon corps se contraint lui-même. Toutes la danse est déterminée et découle naturellement de la posture de départ et le désir du corps de se dresser. Les différentes contortions et exercices d’équilibre auxquels celui-ci doit se livrer pour y parvenir ouvrent en moi un espace émotionnel très spécifique. Si j’essaye de fuir le pathos, l’espace émotionnel ouvert par un corps sur scène est très important à mes yeux. Mais plutôt que les émotions soient voulues et démonstratives, je préfère que celles-cies soient déterminées par le statut du corps lui-même et retenues au maximum, jusqu’à ce qu’elles suppurent presque par les pores de la peau du danseur, non pas intentionnellement mais malgré lui.

Pourquoi avoir rejoint l’incubateur de chorégraphes ? 

J’ai découvert la danse assez tard dans mon parcours, je n’ai pas fait mes études dans ce domaine mais dans celui des arts plastiques, je suis un peu un outsider. Et chaque milieu artistique à des codes et des manières bien spécifiques de fonctionner. Codes que j’ignorais complètement en ce qui concerne les milieux chorégraphiques, et même si je n’ai pas nécessairement l’intention de m’y plier complètement, c’est toujours mieux d’être conscient de ce que l’on subverti. L’incubateur nourri ma dynamique de création, me permet d’entrer en contact avec différents réseaux et globalement, de manière très didactique et accessible, c’est une mine d’informations, de compétences et de contacts inestimable pour moi.