Spectacle vivant et entreprise… Deux secteurs qui paraissent éloignés et pourtant où beaucoup de synergies sont possibles. Orianne Vilmer se penche sur ce qui fait que les chorégraphes font preuve de leadership au quotidien, en étant confrontés à la direction de danseurs, mais aussi à l’incertitude de la création.

Photo : Emmanuelle Stäuble

Transposer le leadership du chorégraphe dans le milieu de l’entreprise… Voici à quoi nous réfléchissons au quotidien à la Fabrique de la Danse. Malheureusement, et nous ne vous l’apprendrons pas, le concept du leadership est si complexe qu’il est difficile d’établir des principes ancrés et immuables ? Les croyances et les intuitions que nous développons tous à son égard sont systématiquement remises en cause par des contextes humains inattendus, des surprises qui fragilisent ce socle de valeurs sur lequel on pense asseoir son propre leadership ou celui de ses pairs.

Mais n’est-ce pas là toute la beauté de cet état, fluctuant, de leadership ? Malgré les découvertes récentes sur l’existence d’un gène du leadership, notre intuition est trop forte : le leadership est avant tout contextuel, et le rôle même du leader est de former d’autres leaders, qui ne se sont pas encore révélés, pour qu’ils s’émancipent eux-mêmes et puissent à leur tout entreprendre de grands changements. C’est la difficulté de celui qui à l’instant T, tient ce rôle de leader. Un “leader choisi” est donc un “leader de fait” et devient progressivement un “leader de droit”… Étrange transformation pour cette personne choisie par ses pairs, reconnue, et qui fait ensuite preuve d’une certaine forme d’autorité se détachant progressivement de la simple influence.

Les définitions du leadership sont nombreuses. Arrêtons nous sur la dernière que j’ai eu l’occasion de lire, celle rédigée par Jean-Michel Plane dans “Théories du leadership” :

“Processus d’orientation et d’influence décisif d’une personne sur l’action d’un groupe humain en vue de mettre en place une politique et d’atteindre un certain nombre d’objectifs plus ou moins précis. Ce processus complexe se manifeste à travers la capacité de mobilisation et de fédération d’individus et/ou de groupes autour d’une action. Le leadership s’incarne à travers la personne du leader dont la capacité de vision et d’animation s’avère fondamentale pour dynamiser ledit processus.”

Dans ce même ouvrage, il rappelle les cinq catégories de compétences associées au leader : compétences liées au rapport à soi, compétences liées au rapport aux autres, compétences liées à l’action, compétences liées au grandissement et compétences liées au pouvoir.

Ce qui m’inspire plus ce matin, ce serait plutôt de vous raconter ce qui se passe en studio lors d’une création chorégraphique, et pourquoi le chorégraphe, développe au quotidien les qualités que nous projetons dans les leaders inspirants, loin de toutes ces théories.

1. Développer des talents

Avant chaque création, le chorégraphe identifie des interprètes et voit en eux les qualités qui seront cruciales pour le rôle. Sa première préoccupation est de leur permettre d’incarner cette vision au plateau, d’être les porte-parole de sa création. Il doit donc connaître les talents de chacun, mais aussi dépasser les talents “visibles” de chaque personne pour les choisir dans des rôles dans lesquels ils surprendront, ils excelleront, ils transcenderont le propos. Durant la durée du projet, le chorégraphe est dédié à ses interprètes pour leur transmettre les outils et les clés qui leur permettront d’aller précisément là où ils seront “justes”.

2. Favoriser l’apprentissage et le goût du risque

Les chorégraphes sont à la recherche d’une écriture, d’une forme. A la croisée du chercheur et de l’expérimentateur, ils abordent leur processus de création avec l’humilité de ceux qui cherchent et donc acceptent de se tromper. Combien d’heures consacrées à l’écriture d’une duo qui finalement ne sera pas gardé dans la pièce finale ? Combien d’heures d’improvisation à se rapprocher de ce qu’on cherche sans parvenir à l’atteindre ? Le travail présenté sur scène n’est lui même jamais vraiment fini. Travaillant la matière humaine, le chorégraphe s’appuie sur la force du vivant, imparfait, jamais égal, mais évolutif et prometteur. Le principe même de l’exécution chorégraphique est celui de la répétition. Mêmes exercices tous les jours pour préparer son corps, répétitions infinies de chorégraphies, l’apprentissage du corps se fait par la répétition et par l’erreur et c’est ainsi que les artistes de la danse sont façonnés.

Et ce goût du risque, qui se manifeste aussi par cette remise en jeu permanente sur scène, car chaque spectacle est différent, chaque soirée est un nouveau défi. C’est d’ailleurs cette instabilité qui fait la spécificité (et la beauté !) du spectacle vivant.

3. Décider et passer à l’action

Le principe même de la création, à la différence peut être de la pure créativité, est de passer à l’action. Le chorégraphe dépend de ses interprètes pour voir ses idées prendre forme. Sa réflexion est donc tournée vers l’action, action d’expérimenter, de guider, de faire, de faire faire. Sa force est de se jeter dans la mise en œuvre sans être certain d’aller dans la bonne direction mais l’approche chorégraphique consiste à voir en conditions réelles son idée avant de juger si elle est réaliste, bonne, et originale. On ne juge pas de l’idée avant de la voir testée.

4. Travailler sur sa créativité individuelle et susciter la créativité collective

Le leadership dans l’art passe nécessairement par la créativité de l’auteur. C’est la compétence principale attendue dans ce métier. Cependant, la difficulté du chorégraphe, à la différence du peintre, c’est qu’il doit faire comprendre son idée à ses interprètes avant même de pouvoir leur montrer. Il doit gagner leur confiance par sa communication autour de son intention… C’est donc une créativité qui résulte certes d’une inspiration, mais d’une force de travail incroyable pour formaliser son idée. Les chorégraphes sont donc inspirants pour les leaders en devenir de l’entreprise en cela qu’ils ne peuvent rien prouver de leur créativité sans travail, et cela contrecarre les idées reçues sur le don inné de créativité qui empêche la majeure partie des gens de s’autoriser à être créatifs. Par ailleurs, le chorégraphe confie la réalisation de son idée à ses danseurs. Leur interprétation de la consigne, leur personnalité, leurs qualités chorégraphiques influencent nécessairement le rendu de l’idée. Le chorégraphe doit donc développer ses danseurs dans leur créativité et leur force de propositions créatives selon la direction, le modèle qu’il souhaite et développer un climat de confiance pour garder la décision finale, le choix artistique qu’il assume à partir des éventuelles propositions alternatives de ses danseurs.

5. Capitaliser sur son intelligence émotionnelle

Sans vouloir faire du chorégraphe le héros du leadership, il est intéressant de rappeler que les danseurs sont connus pour développer plus que la moyenne différentes composantes de l’intelligence émotionnelle selon la définition de Daniel Goleman. Il s’agit notamment de la conscience de soi, capacité de chacun à comprendre ce qu’il ressent et à être en permanence connecté à soi, ce qui correspond à la routine quotidienne du danseur ; et de l’empathie, cette capacité à se mettre à la place de l’autre, liée notamment au développement des neurones miroirs, que les danseurs exercent au quotidien dans leur apprentissage de chorégraphies ou dans leur habitude à visualiser les mouvements.

6. Exceller dans la collaborativité

Le chorégraphe évolue dans l’inénarrable monde des professionnels du spectacle vivant. Un soir de spectacle, le succès et l’échec sont collectifs et jamais individuels. Le chorégraphe apprend donc dès ses premières créations à faire fonctionner un ensemble de compétences artistiques, techniques, administratives autour d’un objectif commun. Sans avoir la maîtrise des problématiques de chacun des métiers, il doit parvenir à faire fonctionner ensemble des individus qui parfois ne se connaissent absolument pas avant de se retrouver au plateau dans un délai très réduit et contraint par l’obligation du lever de rideau.

7. Avoir le courage d’être authentique

Enfin, le chorégraphe doit transmettre sa vision et rassembler ses équipes autour de son intuition artistique. Le résultat artistique et ses retombées économiques ne sont pas connues à l’avance et sont remises en jeu à chaque création. Son équipe accepte donc de le suivre, dans la plupart des cas sans visibilité sur les perspectives de diffusion du spectacle et de financement du projet. Une communication authentique est donc absolument nécessaire pour obtenir la confiance des parties prenantes du projet et à les guider vers un cap incertain dans un contexte finalement très fragile.

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