S’il est un domaine où l’on peut supposer que l’émotion joue un rôle fondamental, c’est le domaine de l’art. Qu’il s’agisse de littérature, peinture, sculpture, chorégraphie, musique ou toute autre forme d’art, le moteur semble en être quelque chose d’un peu mystérieux, qui reposerait tout à la fois, sur la sensibilité, la pensée, l’inspiration, l’intention et l’expression des émotions…

émotion

Artistes : Claire Chastaing, Lola Lefèvre, Roxane Ouazana – Extrait : Co-Pulation, de Fu Le – Photo : Emmanuelle Stäuble

L’émotion et l’artiste

On s’aperçoit très vite que les sources d’inspiration ne sont pas les mêmes selon les artistes et que beaucoup de chemins mènent à Rome ! Le chorégraphe François Verret confie qu’ « il n’y a que les émotions qui m’intéresse » alors que Trisha Brown disait : « Je cherche le mouvement pur, je ne fais pas de différence entre la danse et sa forme, je n’ai pas de message à faire passer ». L’émotion pourra être fondamentale pour l’un et plus futile pour un autre.

Quels que soient les courants ou les remous de l’histoire de l’art, toutes les postures n’ont jamais cessé de cohabiter. Parce qu’elles tiennent à l’humain et que l’humain, c’est la multiplicité des sensibilités, au-delà des modes. Alors, de l’expression la plus profonde de l’être, à l’abstraction la plus pure, chaque artiste fait le voyage qui lui ressemble le plus, qu’il soit en deçà, en plein milieu, ou au-delà des émotions. A travers trois jeunes chorégraphes actuels, on peut remarquer cette diversité de postures contrastées : « Moi, c’est le rapport entre la danse et la musique qui m’intéresse » explique Louis Barreau. Alors que pour Ambra Senatore : « ce qui [m’]intéresse c’est l’humain, la relation à l’autre », Anne N’Guyen, elle, « voyage entre l’abstraction et la place de l’humain dans le monde contemporain ».

Christine Bastin, chorégraphe et directrice artistique de La Fabrique de la Danse, nous livre sa propre perception des émotions : « Oui, je crois bien que les émotions ont une part immense dans ma danse, parce que c’est l’humain qui m’intéresse, l’humain inépuisable et sa mise en écriture dans une danse qui tente de le contenir tout entier. C’est le grand jeu entre l’éthique et l’esthétique. Au départ, on ne sait pas vraiment sur quoi on prend appui. On sait seulement qu’on a besoin de créer, et c’est tout l’être qui est mobilisé, exactement tel qu’il est. Et c’est bien mystérieux ce que l’on est… Un fatras d’émotions, de pensées, d’histoires, un corps éponge, une peau-frontière d’où entrent et sortent tant de choses. Alors on passe à l’action, on tire le fil, on entre presque dans une forme d’insensibilité, un état de non-émotion, qui permet l’analyse et la transcendance de tout ce qui nous habite… Et puis on a terminé. Et on découvre ce que l’on a fait. Et l’émotion ressurgit… une autre ! »

L’émotion et l’œuvre

L’émotion de l’artiste est une chose, celle de l’œuvre en est une autre. L’œuvre vit sa vie, elle « dégage » quelque chose indépendamment, quels que soient les désirs premiers de son créateur. « C’est une sorte de parfum immatériel, que le spectateur respire ou pas, selon ce qu’il met en œuvre de lui, quand il est face à l’oeuvre. Ça peut être un élan du corps, du cœur, de la pensée, une émotion esthétique, une espèce ‘d’innommable’ qu’on va parfois tenter de ‘nommer’, sachant qu’aucun discours ne pourra jamais la cerner tout à fait ! » s’exclame Christine Bastin.
Le peintre Kandinski nous livre la façon merveilleuse qu’il a de regarder l’œuvre picturale (et pourquoi pas toute œuvre ?) et comment elle le touche : « Il s’agit de laisser agir sur soi les couleurs et les formes pures, qui produisent d’abord un effet physique, momentané et superficiel, puis une résonance psychique… une émotion de l’âme. »
Les émotions sont l’apanage de l’art, elles y explosent, soit par le désir de l’artiste, soit parce que son œuvre en produit, même s’il ne le cherchait pas forcément. « Il faut laisser le mystère, être mystérieux » disait l’écrivain Pascal de Duve. C’est le miracle de l’œuvre qui emmène là où personne ne pouvait le prévoir à l’avance. Un lieu où on « s’étonne », où on est bouleversé, renversé.
Inspirées par ce fascinant pouvoir des oeuvres artistiques, les entreprises cherchent par leurs marques à susciter autant d’émotions chez leurs clients, comme Apple par exemple avec la publicité pour sa nouvelle fonctionnalité Memories. Le lien n’est pas direct entre la publicité et le produit, mais l’émotion est bien là, au coeur de la vidéo, pour créer une connivence avec la marque.
« L’œuvre est une invitation au vertige originel dont on espère qu’aucun scientifique ne pourra jamais trouver la source ! » ajoute Christine Bastin. « Que je parte du dedans ou de l’autour, que je sois poussée, portée par les émotions, la pensée ou la simple joie à faire des mouvements dans l’espace, finalement il y a une danse au bout qui m’attend, qui transcende tout, qui en sait mille fois plus que moi et qui me révèle ‘l’être au présent’. De l’émotion, on est passé à autre chose. A un ‘plus qu’humain’, un mouvement immobile et rayonnant, réconciliant toutes les émotions humaines dans une tension dynamique. Toutes les forces sont à l’équilibre, berçant en nous le noyau du vivant. Un fragment de sacré ? D’amour ? Alors allons danser dangereusement, au lieu même de la chute et de l’envol, la vue y est si belle !”
Au quotidien, et comme nous ne sommes pas forcément des artistes, nous nous sommes demandés comment, dans nos vies et nos métiers, nous pouvions nous aussi, toucher à cet état : mêlant la raison, le sensible et les émotions. Un état qui permet de s’épanouir au mieux et de révéler ses forces. Car tout autant que l’artiste, les collaborateurs contribuent chaque jour à l’oeuvre, qui est ouvrage en entreprise. Traversés par autant d’émotions, qu’ils mettent individuellement et collectivement au service de l’ouvrage, souvent sans en avoir directement conscience, ils cherchent également le plaisir du travail accompli, vecteur de récompense personnelle et de motivation.
On parle aujourd’hui de l’intelligence émotionnelle, qui, exercée bien souvent par les artistes sans y penser, serait le moteur premier de tous ceux qui ont un rôle de leader et de management. Alors comment définir et cerner cette intelligence pour la développer ?

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