L’année 2015 nous a secoués, attristés, révoltés aussi. Quelques mots de Christine Bastin, en mémoire du 13 novembre, pour que la danse porte l’espoir. 

Parler d’art quand tout est fracassé, quand tout fait silence autour de soi, en soi, et que ça prend toute la place ; comme un lac gelé.
De l’art, mais comment ? Où est la brèche pour la naissance fragile du poétique ?
Je voyais bien la rose dans la vitre brisée, mais elle n’était que la rose et je ne sentais plus rien.

Je me suis souvenue que l’art, c’est à ça que ça sert : sentir des choses ; nous rappeler cette vibration tout au milieu de nous, comme celle qui nous saisit  quand on dit : c’est beau, ou je t’aime, ou qu’on rit de bonheur !

C’est un mouvement, dans le cœur, dans la peau, ça affleure, ça désaltère, ça vous arrive, ça vous attrape, ça vous dépasse… Il vous vient, comme une bouffée de lumière, le dedans est plus large ; on est fiers d’être là, d’être nés… C’est mieux qu’un sentiment, c’est un état qui a à voir avec l’amour, avec la joie… C’est presque sacré.

La danse y prend sa source, elle en rapporte la trace ; un fragment de la beauté du monde. Voilà ce qu’elle nous donne… l’insaisissable rendu visible… le souvenir de nos contemplations… le meilleur de nous… le lien avec tout ce qui est… un lieu de partage au-delà du langage…. En ce lieu, ce qui arrive à l’un, arrive à tous… et qui voudrait tuer l’autre, sachant qu’il se tuerait lui-même ? Qui le voudrait ?

Eux l’ont voulu et l’ont fait… Alors je me demande où quelque chose a cassé, pour qu’il y ait des désespérés qui n’ont de choix que de semer la haine, la laideur et la mort. Quelles sont nos armes à nous pour renaître ? Le silence est écrasant ; les corps sont immobiles ; la danse suspend son vol.

Si un artiste devait s’emparer de ce soir-là, ça devrait être un peintre, peignant l’endroit seul où la vie a gagné : un coin de trottoir à Montrouge, où un homme a choisi d’abandonner sa ceinture d’explosifs dans les poubelles… Il y a là, peut-être, la naissance d’une aile ?

Pour le reste, de l’est de Paris à Saint-Denis, c’est indicible, illisible, un lieu noir et stérile.

Juste une litanie répandue sur la terre où s’abiment les roses : frère, amie, voisin, père, mère,  frères, neveu, cousin, sœur, fils, frères, voisine, fille, proche, nièce, homme de sa vie,  belle-sœur, frères, professeur, femme de sa vie, oncle, collègue, beau-frère, ami, tante, petits-enfants, grands-parents…frères : on est trop ou trop peu, à vraiment prononcer le mot.

Je prie, comme une athée ; je fais silence, j’écoute la très fragile, l’inépuisable espérance. Je me dis que la danse, c’est pour mieux vivre, pour mieux être, pour être soi avec tous, tisser des liens d’humains, rappeler le jardin essentiel, et jamais, je l’espère, pour dresser des barrières.

Alors je danse.