Rencontre avec Fu Le, de la promotion 2019 de l’incubateur.

Quel est ton univers chorégraphique ? 

Je ne peux pas le dire, il grandit, se transforme, s’adapte. L’univers est bien trop grand pour le définir en quelques lignes. Il y a peut-être des constantes : le noir, l’absurde, l’ancrage visuel. Je suis issu des arts plastiques, du travail avec la matière, des surfaces rugueuses, des mouvements âpres et précis. Je considère la scène comme un monde d’origines, où tout peut naître, où se découvrir. Je sais que je n’aime pas trop en faire voir, pour tenir le spectateur en haleine, le forcer à chercher, à sentir, à apprécier chaque détail. Affamer le spectateur pour le rendre plus sensible à ce qu’il goûte : c’est peut-être là mon engagement politique.

Peux-tu nous dire quelques mots sur ta création en cours ? 

Co-PULATION, j’aime bien ce titre, même s’il n’a rien à voir directement avec la pièce. Il parle de beaucoup de choses, de la famille, du communautarisme, des générations de trentenaires sans enfants. J’ai réalisé récemment que dans l’éducation nationale, ce qui compte pour obtenir des points et de bonnes mutations, ce n’est ni les compétences techniques ni la qualité du travail effectué, mais c’est de faire des enfants, comme si nous vivions après-guerre et qu’il fallait repeupler la France. Co-PULATION est une pièce qui s’attaque au désir d’absolu et d’authenticité qui mène ou perd chaque individu. Je me suis appuyé au départ sur certains écrits de Borges qui, à travers une recherche littéraire d’authenticité, évoquent de vains artifices – miroirs, masques ou encore la copulation – pour approcher l’idée de reproduction à l’identique. Le titre vient de lui : “Les miroirs et la copulation sont abominables, parce qu’ils multiplient le nombre des hommes.”

Pourquoi avoir rejoint l’incubateur de chorégraphes ? 

Pour garder un dynamisme que le système administratif s’évertue à nous enlever. J’ai voyagé pendant 10 ans dans le monde entier, j’ai rencontré une multitude de personnes extraordinaires, mais mon réseau en France et à Paris est assez limité. J’éprouve ainsi un grand plaisir à côtoyer d’autres chorégraphes, qui traversent les même problématiques, artistiques, financières. La création d’une compagnie est une course d’endurance où l’on se sent souvent isolé, enfermé dans notre bulle artistique, écrasé sous des montagnes de papiers, de factures, d’obligations. Il était donc nécessaire pour moi de me sentir entouré.

Photo : Sudesh Adhana